Chut ! Il ne faut pas faire de bruit. Suivez-moi, on descend dans la crypte sacrée. Poussez la porte avec précaution et regardez à la lueur chancelante de la torche. Elles sont là, scintillant faiblement dans la pénombre, attendant qu’une bonne âme leur rende justice. Ce sont les nuggets et autres œuvres perdues jonchant les caniveaux du rock, fantasme des collectionneurs de cire, que de vaillants orpailleurs ont décidé de sortir de l’oubli (en tirage limité bien sûr). Les esprits chagrins me diront que tous ces joyaux ne se révèlent pas toujours à la hauteur de l’investissement mais qu’importe, ce qui compte c’est la quête, la chasse qui vous permettra peut être de découvrir l’un de ces outsiders qui n’a pas eu la chance d’accéder au podium. Je vais vous dévoiler l’histoire d’une de ces pépites égarées mais tout ceci doit rester discret, entre nous, entre initiés… L’année 1966 constituera le sommet et la fin de l’âge d’or du garage punk américain qui aura duré à peine deux ans (1965/1966). En 1967, le mouvement musical et culturel dévoyé par la jeunesse blanche bascule dans l’ère psychédélique dont il ne s’est pas encore remis à ce jour. Des foyers d’infections mutants sont signalés dans tout le pays notamment au Texas où la fièvre prend des allures de pandémie virulente. Les héros de ce mouvement se nomment Roky Erickson et le 13th Floor Elevators (qui sera prochainement intronisé au panthéon du Duke soyez en sûrs ; et certainement pas ce baltringue de Johnny Thunders) ou l’éclectique Mayo Thompson (Red Crayola) et tant d’autres à l’instar de leurs glorieux confédérés natifs du Texas (ZZ Top, Johnny Winter, Doug Sham, Josefus, Buthole Surfers, Buddy Holly ou Stevie Ray Vaughan...) Quel que soit son style, on reconnait toujours un musicien natif du Texas (et pas à cause de ces bottes et de son stetson) ! Le groupe Cold Sun viendrait d’Austin où il enregistre son unique opus dans les légendaires studios Sonobeat en 1969 ou 1970 (les avis divergent) mais de façon assez tardive, alors que la première vague psychédélique est en train de se retirer et d’infecter provisoirement le heavy rock. Il semblerait que nos lascars, trop jeunes en 1967, aient voulu perpétuer la flamme toujours incandescente des 13th Floord Elevators, mais cet élan de nostalgie signera la fin de leur aventure puisque l’album ne sortira jamais. Le label Rockadelic exhumera le disque en 1993 en réalisant un tirage limité qui deviendra illico un collector inaccessible faisant baver les collectionneurs impavides. Il sera ensuite joliment réédité en 2010 par un label allemand à destination du vil peuple. L’album improprement nommé Dark shadows lors de son édition est composé de trois longues suites hypnotiques : Here in the year, Fall et Ra-ma, entrecoupé de morceaux plus courts : See what you cause, Twisted flower, chantés par le bassiste, Mike Waugh, For ever et d’un morceau de bravoure : South Texas, qui ouvre le bal des hallucinations sur la première face. "Have you seen the eyes of the Gecko... ?" Je vous laisse deviner la suite… Fermez les yeux, vissez bien le casque sur les oreilles, vous êtes prêts pour le grand voyage ? C’est parti, votre conscience supranaturelle a pris les commandes d’un pygargue à tête blanche déployant ses ailes au-dessus du territoire sacré des Navajos peuplé de lézards géants, de cactus multicolores, dragons venimeux, nids de crotales et autres créatures de la mythologie indienne que vous devrez affronter et vaincre dans un parcours initiatique digne de l’odyssée qui vous conduira dans la quatrième dimension cosmique. Après ce long vol en suspension au-dessus du désert, vous terminez en piqué dans l’océan pacifique vers le continent perdu idyllique de MU qui deviendra votre refuge pour l’éternité. Un jour, il faudra que je vous parle de cet autre barré du cerveau, un surfer nommé Merrel Frankhauser qui forma le groupe MU(le continent perdu ah, ah !) avec Jeff Cotton première gâchette du Magic Band du "Capitaine Cœur de Bœuf", avant de se réfugier à Maui, une île d’Hawaï qui accueillera aussi Sky Saxon (The Seeds), cet autre grand taré du rock et sa communauté Ya Ho Wha 13… D’un point de vue musical Dark shadows est extrêmement homogène. Tous les morceaux sont tissés sur un tempo alangui et mélancolique qui répète à dessein une trame hypnotique qui préfigure la musique des géants du krautrock. Cette trame est renforcée par les effets sonores envoûtants et intimidants de l’auto-harpe électrique utilisée par le chanteur Bill Miller (à l’instar de son Homologue Tommy Hall qui lui joue de la cruche électrique avec les Ascenseurs du Treizième). Un monstre de Gila surgit menaçant au détour d’un cactus, l’orchestre accélère le tempo, éloignant provisoirement le danger pour mieux revenir ensuite sur son orbite de prédilection, filant haut à eight miles high droit sur la ligne du soleil écarlate. Vous sortez de votre songe soudainement éveillé par la balafre d’un trait d’harmonica (magnifique !). Les arpèges joliment fuzzy ou distordus de Tom McGarrigle (Je crois qu’il joue sur Gibson SG comme Cipollina) viennent s’enchevêtrer telle une liane de fleurs toxiques autour de cette base rythmique accentuant l’effet tripant de l’ensemble. Point de solos indigestes ici, la guitare répète à l’envie son mantra lancinant sur les riffs d’auto harpe de Miller. De nouveau la voix habitée aux accents garage vient déchirer cette torpeur, nous rappelant qu’il est notre guide protecteur dans ce périple initiatique. Bon, je rame ! Il faut que je m’envoie une autre décoction de Mescaline derrière la cravate… Bon sang ! J’aurais mieux fait de rester peinard dans le sofa à me siroter un White Russian plutôt que de me lancer dans cette chronique décérébrante. Slurpp ! Ah, Il faut reconnaître, c’est du brutal ! Ouaah ! la montée, sévère ! Je retrouve la connexion cosmique avec les esprits du Joshua Tree (pas celui de la bande à Bono, sans déconner !) qui vont me permettre de terminer ce billet hallucinatoire. Donc, pour en finir, je citerai Jello Biafra (Dead Kennedys), un militant de la cause animale, à propos de Cold Sun : "Ils jouaient comme s’ils avaient laissé leur corps dans le garage pendant que leur esprit planait au-dessus du Texas" et de poursuivre en affirmant que "Dark shadows est le plus le plus grand album de rock psychédélique de tous les temps", ce que je ne suis pas loin de penser. La légende voudrait que ce disque ait été conçu entièrement sous l’emprise du peyotl, un petit cactus hallucinogène fort rependu au Mexique et au Texas. C’est du naturel ça au moins, du Bio ! pas comme les trucs chimiques trafiqués que s’envoyaient les groupes de Frisco. Elle est peut-être là la différence ? Qui peut savoir ce qui se passait dans la cervelle de ces jeunes gens à ce moment précis ? Alors, pour paraphraser John Ford (un connaisseur en cactus) dans L'Homme qui tua Liberty Valance : "On est dans l'Ouest, ici (et au Texas, putain !) et quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende !"
LE DUKE [Vous prendrez bien le temps d'un petit commentaire !]
A écouter aussi : MU : The First Album [1974] [réédition Guerssen]
A ne pas lire : James Churchward : The Lost continent of MU
01 - South Texas
02 - Twisted Flower
03 - Here In The Year
04 - For Ever
05 - See What You Cause
06 - Fall
07 - Ra-Ma
08 - Live Again [Bonus - Live, 1972]
09 - Mind Aura [Bonus - Live, 1972]
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